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Une âme effarouchée
18 août 2017

Dédé

Dédé, il a l'alcool un peu mauvais des fois, faut pas se mentir, mais au fond ce n'est pas un mauvais larron.
Simplement, une fois qu'il est parti, le débit de ses paroles fait penser à un torrent impétueux, parfois asséché, d'autres fois furieux.
Il a juste besoin de communiquer beaucoup, souvent, et surtout n'importe comment.
Faut qu'il expulse ses émotions avant qu'elles ne le pourrissent trop de l'intérieur, comme on peut faire un pet quand on est ballonné : ça soulage même si, au fond, ça n'avance pas à grand chose dans la vie.
L'autre jour, en sirotant nos bibines, il m'a lancé :
"J'te le dis, on est tous des cons à se prendre pour le nombril du monde, comme si des milliards d'êtres humains chérissaient notre image le soir avant de s'endormir."
Là, le Dédé exécute un chancelant demi-tour et prend à témoin les rares clients présents dans le bar, en cette agonisante après-midi :
"Oh, réveillez vous les p'tits gars!
Vous croyez que les autres pensent souvent à vous, alors qu'eux aussi se mattent le nombril plus que de raison!
Môman est plus là avec son amour sans condition et ses tétés bien chauds, vous êtes condamnés à la solitude, bande de connards!"
Là, je suis intervenu, ma main sur son bras velu :
"Toudoudédédisdonc, calme toi, tu baves.
Tu m'repayes un coup?"
J'avais très envie de boire à l'oeil et le Dédé, il offre souvent (quand il est chaud) de généreuses tournées; je le connais assez à force de le voir vomir chaque soir.
Même s'il me fallait supporter sa logorrhée encore un peu, la situation restait plutôt rentable pour moi, mon alcoolisme et mon avarice.
On repart donc sur du whisky/picon et Dédé, il repart en péroraison :
" Euh j'disais que personne pense à nous, alors, slurp, faut pas jouer un rôle pour les spectateurs qui sont pas là."
Léon s'est alors levé (en titubant) de son tabouret, il protestait et clamait que sa vie était matée avec amour, exigence et attention par dieu.
Dédé, il s'est emballé :
"Dieu?
Dieu est en RTT, il visite l'univers avec un tour operator.
Il a créé tellement de trucs là-dedans qu'il ne se souvient plus de tout, alors il veut se rafraîchir la mémoire.
Burp.
Et vérifier qu'y a pas une couille qui traîne q'que part à réparer.
Dieu, fallait en profiter y'a 2000 ans, maintenant c'est trop taaaaard".
Il avait prononcé sa dernière sentence avec l'aplomb d'un Galabru (plutôt bien cuit que cru).
Sa voix devenait également pâteuse avec l'avancée des aiguilles, mais il parvint à ajouter encore :
"Moi j'dis qu'y faut être libre d'exister sans devenir l'esclave des envies de l'autre!
Quand on se trouve enfin soi-même, on n'est plus jamais seul.
Moi, j'veux un monde d'écrivains et plus seulement de lecteurs.
J'ai soif de ...."
- "de picrate?" tenta Romarin, confit par la bière trappiste.
- "non, moi j'ai soif d'Aaaaabsolu!
Je veux traquer les traces de divin saupoudrées, quelques fois, dans l'esprit de l'être l'humain.
J'ai pas raison?"
Si, il avait raison, mais personne ne répondit.
Je ne sais si c'était le sky ou le picon,
mais le Dédé, ce soir là, titillait la perfection et suscitait notre franche admiration.
Du moins, avant qu'il ne tombe à terre, car après il fût brouillon.
Il n'empêche, si je dois têter mes goulots en solitude à l'avenir, il me faudra alors payer, tâter les oursins garnissant mes poches et investir financièrement dans ma liquide destruction.
Je n'en ai donc aucunement l'intention.
"- Hé Dédé?
- Gné?
- y te reste une piécette ? "
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