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Une âme effarouchée
23 mars 2024

L'armée

7h47
Jeanne Lécureuil, vingt-quatre ans, s'en va subitement vers le bus quatre-vingt, à l'arrêt, dont la porte entrouverte aimante ses yeux noisette et dirige ses pas.
Partir.
Debout, bras croisés, tête légèrement penchée de côté, Ahmed el Karkouri, trente-sept ans, serveur au café face à la gare routière, rêve qu'il prend à son propre cou les jambes langoureuses (mais toniques) qui tricotent sous ses yeux pour amener Jeanne Lécureuil sur le lieu du
Départ.
Assis sur un banc non loin du monument au mort, Manolo Cortes, soixante et onze ans, distribue, en douce, du vieux pain aux vieux pigeons de la vieille place. Tout à coup, il oublie les oiseaux et le risque d'amende, fasciné par les tâches de rousseur qui scintillent au soleil sur les pommettes de Jeanne Lécureuil.
Vite partir, 
Maxime Laporte, quarante huit ans, traverse, aux bras de sa compagne, Ann-Bell Hirtz, quarante trois ans, la place de la gare routière. Ils croisent tous deux Jeanne Lécureuil, vers le kiosque en toc qui vend de la bouffe en snack. Tout en conversant avec Ann-Bell, Maxime scanne le corps de Jeanne, de haut en bas, puis de bas en haut, avant que ses yeux ne se fixent sur la zone des hanches, des cuisses, du pubis. Maxime s'immobilise et déclare brusquement à Ann-Bell en montrant le kiosque du doigt qu'il a très envie d'un sachet de churros avec de la Nutella.
Départ.
7h56
Le moteur démarre, les portes se referment.
À travers les vitres sales, Jeanne Lécureuil voit s'éloigner, soulagée, la ville envahie par l'armée des yeux fureteurs.

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