Cantal

Chaque repas de réveillon à Bondoufle, c'est la pareille! 

On se croirait spectateurs d'un sketch venant illustrer le comique de répétition. 

Face au plateau de fromages, devant la famille réunie au petit complet, tonton Gilbert bégaye avec émotion son laïus bien (trop) connu :  

"Tiens, il y a du Cantal ! C'était le fromage préféré de mon grand-père, ah ça me rappelle des souvenirs de jeunesse en Auvergne, les choses étaient alors bien différentes... une toute autre époque. Alors ce qu'il faut savoir, c'est qu'il y a trois sortes de Cantal : le jeune, le vieux et l'entre deux et d'après mon grand-père ..."

Sauf que cet année, avant que tonton Gilbert ne poursuive son habituelle rengaine, je suis intervenue, moi qui ne parle guère d'habitude (on me dit silencieuse, on me dit timide : je n'ai seulement pas grand chose à dire aux tontons Gilbert qui peuplent cet univers). 

Sourire aux lèvres, j'ai indiqué que les plus hautes autorités fromagères avaient décidé qu'à l'avenir il n'y aurait plus que deux sortes de Cantal : le jeune et l'affiné. 

Tonton Gilbert en est resté bouche bée, comme si je venais de couper le fil qui le reliait à son cher grand-père avec les odieux ciseaux du changement. 

Pourtant, muni de son expérience affinée par son grand âge, il devrait savoir que l'impermanence est la seule chose qui ne change pas dans ce monde.

L'entre-deux, quant à lui, est devenu une notion trop flou et trop subtile pour avoir une chance de perdurer.

Le Cantal, pour exister à l'heure du binaire, du 0 et du 1, devait changer de logiciel, taper du point sur les i, et s'affirmer comme un fromage (r)affiné d'une étonnante modernité.