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Une âme effarouchée
9 novembre 2022

De la crasse et du manque d'audace

"Michel".
Il s'était présenté d'emblée, en s'installant à son siège, le numéro 66, voiture 7.
Il ne devait pas être habitué à prendre le train pour se comporter ainsi, ou bien il était de ces personnes partageant sans cesse leur identité, impatientes de transformer l'inconnu en témoin de leur existence. 
Michel avait un long poil blanc qui ornait le milieu de son nez; j'avais beaucoup de mal à ne pas fixer ce poil lorsqu'il me parlait. 
Et Michel aimait papoter. 
Ce que je n'aimais pas beaucoup, moi, c'était d'être placé dans cet espace "carré" du train où deux sièges se faisaient face. 
On ne pouvait pas y déplier ses jambes sans heurter celles de l'autre. Ni déplier ses yeux - son âme - sans se sentir emprisonné par le regard de son vis à vis. 
Il fallait se résigner, pour la durée du voyage, à être coincé comme si on avait une patte prise dans un piège à loup. 
Michel me parlait donc, j'aurais eu du mal à dire de quoi, sûrement de tout, de rien. Le long poil blanc sur son nez gigotait de gauche à droite, bercé par le système d'aération du train et par les mouvements de tête de Michel. 
J'aurais aimé avoir une pince à épiler dans ma poche, ainsi que l'audace de demander à Michel la permission d'extraire ce poil disgracieux et si mal placé. 
Hélas, je n'avais aucune pince sur moi et le manque d'audace était clairement le drame de ma vie. 
Michel se leva vers le milieu du trajet pour se rendre aux toilettes, m'offrant un instant de répit auditif. 
Je remarquai alors que de l'appui tête (couleur blanche) de son siège se détachait nettement une grosse tache noire, de forme arrondie, provenant de l'accumulation de têtes de voyageurs appuyées à cet endroit au fil des années. 
Le temps salissait décidément tout. 
J'eus un frisson de dégoût en imaginant la tache similaire qui devait être collée, à l'instant même, contre mes cheveux et l'arrière de mon crâne. 
Je n'étais que de passage, un parmi une succession d'autres qui avaient été là avant moi. 
Les autres, moi, vous : notre présence dans ce train se résumera à une couche de crasse supplémentaire. 

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