Coiffeur, masseuse, ma soeur heureuse

Le passage des ciseaux près de mon front, occupés à raccourcir le peu de mèches qu'il me reste, me donne envie - comme à chaque fois - de fermer les paupières et de m'endormir dans l'instant.

Je pourrais me le permettre puisque le fauteuil sur lequel je suis assis se situe dans le salon de coiffure appartenant à ma sœur.

On m'a souvent dit que j'avais de la chance d'avoir une soeur coiffeuse. À choisir, j'aurais préféré qu'elle soit masseuse ou ostéo, dotée de mains fortes et aptes à soulager la moindre de mes tensions dorsales.

Mais on ne choisit pas grand chose dans la vie... pas son physique, ni son caractère, encore moins le fait de perdre ses cheveux au-dessus alors qu'ils poussent encore drus sur les côtés (c'est si laid de vieillir ainsi) alors contentons nous de ce que la vie  nous offre - m'offre à moi en tout cas : des coupes de cheveux gratuites.

Avec le temps, après avoir constaté de mon côté l'absence de volontés capillaires (si ce n'est de toute volonté), ma soeur ne me demande plus guère comment je souhaite être coiffé.

Elle coupe, sans style mais sans fausse note, la soeur, et elle papote pendant que le frère lui s'endort.

De toute façon quoi que je lui dise, et quoi qu'il se passe, je me retrouve toujours après avec la même tête qu'avant, c'en est désespérant de ne jamais pouvoir s'échapper de ses traits (lu aujourd'hui : "il faudrait pouvoir mourir plus souvent").

La soeur hausse un peu la voix, elle sent bien que je pars vers mes songes et n'aime pas parler dans le vide : "FIV, PMA, GPA... il y a toujours plus de moyens pour se reproduire et pourtant, t'en as  entendu parler? on fait de moins en moins d'enfants... C'est fou non?"

Ma soeur s'est mariée à 22ans, elle a fabriqué trois enfants (de façon mécanique et classique), acquis une maison avec jardin et dressé un gros chien dont j'oublie constamment le nom.

Je n'ose pas lui dire que c'est sa vie à elle que je trouve folle : c'est tout de même ma sœur.