Vieux

La télévision diffuse des images d'archives : on voit à l'écran la célébration de la victoire française lors de la coupe du monde de football 1998.

Un million de personnes se tasse sur les Champs Elysées pour tenter d'apercevoir Leboeuf ou Djorkaeff brandir le précieux trophée sur le toit d'un bus qui descend lentement l'avenue. Il fait beau et les gens sont heureux.

Au milieu de cette foule (ou plutôt sur un côté) moi et mon aimée de l'époque.

Je fais le calcul dans ma tête : 2021-1998 = 23ans.

Il y a 23ans, je rendais visite à mon frère qui habitait le 13ème arrondissement, avec son aimée de l'époque (qui n'est plus, tout comme la mienne, celle d'aujourd'hui). Je visitais la capitale pour la première fois, je venais de finir la fac, je m'inscrivais à des concours administratifs, la vie s'ouvrait devant moi et semblait ne devoir jamais se refermer.

Il y a 23ans, j'avais la moitié de l'âge que j'ai actuellement.

Je suis vieux, j'en prends brutalement conscience, vieux, je suis presque une archive.

*

Je sors prendre l'air, prendre l'inspiration avec l'aspiration d'un air neuf, d'une volonté de ne pas mourir vivant enkysté dans mes habitudes de petit retraité.

Je croise beaucoup de joggers, le dimanche matin ils envahissent les rues de la ville comme les zombies dans Walkind Dead.

L'un d'entre eux porte un curieux t-shirt "journée sans carton".

Alors, je décide de traverser le cimetière pour échapper à ces meutes de sportifs suant et crachant, un des rares lieux où ils n'osent pas encore dérouler leurs foulées.

Au cimetière, on creuse la terre pour enfouir les corps sans vie, pour cacher ce qui a été et ne sera plus jamais.

Pour dissimuler le passé obsolète qui pourrit et qui pue.

A l'arrière plan, par delà les murs du cimetière, on monte des grues géantes pour élever aux alentours des immeubles de grande hauteur, comme si la taille pouvait protéger de la fin.

Comme si le footing pouvait protéger de la mort.