Vanité du wombat

C'est dimanche et il pleut.

Tu t'ennuies.

Tu te sens à poil face à ton désoeuvrement, maintenant que tu ne picoles plus depuis longtemps, que tu ne prends plus aucun cacheton, que tu as arrêté de fumer de l'herbe et qu'aucun être humain ne navigue dans ta réalité proche.

Alors dans ton appartement de nain, tu déprimes un peu sur le net en tentant laborieusement de soutenir une conversation avec une transexuelle croisée plus ou moins par hasard. Mais plus tu passes du temps à fixer ce petit écran dans ton petit logement, plus ton humeur prend la teinte de la grisaille du ciel.

Tu as l'impression d'être malheureux et que la chance a déserté ta vie.

Pourtant tu as appris des choses aujourd'hui, grâce à des lectures édifiantes.

Ainsi, tu sais que la première vanité de la peinture occidentale est l'oeuvre du flamand Jacob de Gheyn II en 1603.

Tu as emprunté un gros livre sur les vanités et les Memento mori à la médiathèque, la mort étant un sujet qui t'attire comme le fromage fait venir la souris.

Dans le registre animal, tu as aussi découvert, avec stupéfaction, que le wombat est le seul animal au monde à faire des crottes cubiques ; en voilà un qui aurait des raisons d'être vaniteux!

Toi tu serais fier d'avoir une telle particularité, une originalité qui te distinguerait et qui ferait dire aux autres "Ah oui, c'est lui qui... ".

Mais tu ne fais pas de crottes carrées, chez toi rien n'est carré d'ailleurs, point d'angle droit, peu de lignes, beaucoup de vide et des pointillés.

Finalement la pluie cesse, le ciel s'éclaire et, laissant en plan la transexuelle contenue dans ton écran, tu sors enfin, ressuscité par de grandes goulées d'air frais.

Le soleil n'éclaire jamais aussi joliment le monde que lorsqu'il succède à la pluie. Les nuages sont teintés d'or au sud, de rose au nord.

Près de la Gare de Lyon, tu croises le groupe de danseurs et danseuses péruviens qui a l'habitude de se retrouver chaque dimanche en cet endroit. Ils sont aujourd'hui tout halloweenisés, tandis que la ville s'assombrit et que les lampadaires s'allument.

Finalement, arrivé sur le pont de Sully, tu te dis que peu importe ton utilité sociale, tes qualités, tes possessions... pour être chanceux, il faut avant tout croire qu'on a de la chance.