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Une âme effarouchée
13 décembre 2021

14h14

14h14, quelle heure à la con! Quel manque d'imagination dans cette bête répétition de chiffres, c'est déprimant!
Et pourquoi pas aussi 14 secondes pour aller avec?
Gaëtan n'en sait rien, son réveil numérique n'a pas d'aiguilles pour lui indiquer la marche des secondes. D'ailleurs, toutes les horloges semblent avoir perdu leurs aiguilles, elles ont été dépouillées de leurs ailes : le temps ne peut plus voler mais seulement ramper comme une misérable blatte de minute en minute, dans l'obscurité et la confidentialité.
Entre le 14 et le 15, c'est le néant, on peut s'égarer entre deux minutes comme dans un trou noir, sans savoir s'il existe encore un plancher, un plafond, sans non plus être sûr d'exister tout à fait.
En baillant, Gaëtan tourne à nouveau la tête vers son réveil, situé à sa gauche sur la vieille commode Conforama qui le suit fidèlement depuis vingt ans à chaque déménagement.
"Putain!"
14h14, encore.
Le temps ressemble à une machination, un plan machiavélique destiné à rendre Gaëtan fou, encore un peu plus fou...
Sans secondes s'écoulant telles des gouttes d'un robinet, comment savoir si le temps n'a pas oublié d'avancer ?
Le doute pointe à l'horizon de la conscience : la fin des mondes est-elle survenue? laissant chacun -dont Gaëtan - errer dans des limbes où il serait à jamais (pour toujours) 14h14?
Tandis qu'un chien aboie à l'étage au-dessus, Gaëtan sourit, rasséréné car il constate qu'il est maintenant 14h15, tout est encore parfaitement rationnel, le monde s'écoule comme il l'a fait depuis l'aube des origines, vers quoi on ne sait pas mais au moins il avance. C'est déjà ça.
Il s'est encore affolé pour rien.
C'est un anxieux Gaëtan, un sensible, un hypersensible comme on l'écrit aujourd'hui sur les couvertures des livres de développement personnel.
"Une chochotte", voilà comment l'aurait exprimé, plus abruptement, son grand père René qui - lui - avait connu l'époque où les hommes étaient des hommes qui respectaient la "valeur travail".
"L'oisif voudrait toujours, mais il ne veut jamais", ce ne sont pas les dictons qui manquent pour fustiger les gens mous comme Gaëtan.
Oisif, oisif, il fait tourner le mot en boucle dans son esprit, puis il le prononce à haute voix, fixant des yeux le plafond, encore couché sur son canapé : "oisif, oisif, what if l'oie siffle?".
Gaëtan rigole, il est généralement bon public envers ses propres calembours. Une quinte de toux vient succéder à son rire, le secouer et forcer son dos à se décoller exceptionnellement de son fidèle canapé mou.
Des postillons vont se perdre dans les plis de sa robe de chambre/peignoir, éternelle tenue d'intérieur maculée et odorisée par le passage des mois et des repas de son propriétaire.
14h17, ça défile à toute allure maintenant, les minutes glissent sur un tobogan aspirant le temps, rendant déjà nostalgique notre bon Gaëtan du 14h14 présent auparavant.
Derrière les fenêtres et leurs vitres sales, le ciel apparaît sombre comme s'il se préparait déjà à accueillir la nuit.
Le soleil, le bleu, le clair, le jour semblent avoir fuit vers de meilleures contrées, un endroit loin d'ici où l'espoir n'est pas encore enterré.
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