Tombe l'ongle, tombent les feuilles

Elle fait une moue dépitée.

"Le médecin m'a dit que dans quelques temps, je n'aurai plus du tout d'ongle à mon petit orteil.

Tu vois, il est déjà minuscule et il rétrécit d'année en année."

Je me penche vers son pied dénudé, je regarde son orteil et ce petit bout d'ongle qui bientôt ne sera plus. Le soleil perce la vitre et éclaire ce tableau charnel de sa douce lumière automnale.

L'eau à la bouche, me vient l'envie de mordiller ce petit bout de chair, puis de lécher la malléole qui le surplombe, avant de faire jouer - juste au dessus - mes lèvres sur le mollet comme sur une flûte enchantée.

Je suis très excité, je ne devrais pas l'être puisque je lui ai promis que je ne le serai pas, condition sine qua non de ma présence chez elle.

Il me faut tenir mes envies en laisse, rester dans le salon de l'amitié et ne pas désirer partager sa couche.

Telle est la règle, telle est sa loi.

Nous gardons le silence pendant quelques instants, comme s'il avait besoin d'un chaperon pour veiller sur lui.

Par la fenêtre, des bourrasques de vent font s'envoler les dernières feuilles jaunies des tilleuls bordant la petite rue.

Je bois mon café du bout des lèvres, elle sourit en regardant le plafond du bout des yeux.

Elle est extrêmement sexy en survêtement et les cheveux défaits, je suis attiré par elle comme un dormeur glacé par une bouillotte géante.

Elle demeure pieds nus car le chauffage, inclus dans son loyer, est réglé au maximum et diffuse dans la pièce une chaleur torride. Des gouttes de sueur perlent de ma nuque pour aller dévaler la pente de mon dos.

"Tu voudrais m'aider à me laver les cheveux ?"

Sa bouche délicate prend un air amusé.

"Enfin, peut-être que j'abuse de ta gentillesse ?" demande t'elle en se mordant la lèvre inférieure.

Face à ce ravissant simulacre de gêne, je bredouille que non, ça ne me dérange pas.

J'ignore si elle se doute que je serais tout aussi volontaire pour m'allonger devant sa porte et lui servir de paillasson.

"En fait, tu auras juste à tenir le pommeau de douche et à faire couler l'eau pendant que je masserai mon cuir chevelu".

En fixant ses yeux noisette droit dans les miens, elle répand dans mon âme une chaleur surpassant celle qui règne dans son petit appartement.

C'est l'automne : tombe l'ongle, tombent les feuilles; meure ma volonté, vive ma dévotion.