46

46

4+6 = 10

1 + 0 = 1

Un, un seul.

Les chiffres ne mentent jamais.

T'es tout seul, planté là au grand carrefour de la quarantaine.

Le mitan dépassé, une grosse mi-temps déjà jouée, y'a match nul, nul de chez nul, aucun résultat, le beau jeu est absent,  tiki taka : nada.

Ça bouge autour de toi, plein de gens passent, des petits et des gros, des enfants et des grabataires, toi tu vois que les jeunettes, les chairs qui brillent au soleil lorsqu'elles dépassent du tissu.

Vieux dégueu.

*

Bon et elle, À., celle que je n'ai pas vu depuis 12ans déjà ?Et si je fouillais le net pour savoir ce qu'il est advenu d'elle par delà le labourage du temps ?

Quelle merveilleuse idée pour égayer cette journée racornie! Il faut avouer qu'un anniversaire, on a beau s'en foutre, ça rend toujours un peu mélancolique.

Elle a une page Facebook, je m'y rends; mince il faut être inscrit pour voir ses photos et posts.

J'improvise des identifiants de connexion.

Mon nom ? Chiche, car je viens de lire un roman, d'ailleurs pas terrible, de Sarah Chiche.

Prénom ? Je n'ose pas indiquer Sarah, n'ayant pas très envie d'être accusé d'usurpation d'identité.

Va pour Amandine (pourquoi ? Et pourquoi pas?)

Ok, Facebook me voilà dans tes fumantes entrailles, paradis du voyeurisme!

Sa page comporte peu de photos, encore moins d'infos, juste des réponses rapides aux commentaires de ses amis qui apparaissent sous certains des clichés postés.

Les paysages sont verdoyants et ne se situent assurément pas dans l'Essonne.

Aurait-elle, encore, évolué ?

Faut-il que tout change, se modifie, sauf moi?

J'étouffe.

Quoi, elle dirige une entreprise de travaux paysagers à Saint Céré?!

Sans blague?

Je l'avais laissée conseillère d'orientation à Étampes, tentant d'insérer dans les cases de la société des jeunes trop mal éduqués.

Je suis surpris qu'elle ait quitté son petit CIO de grande banlieue pour venir s'insérer à St Céré.

Sincèrement, j'aimerais être psychanalyste, passer mes journées à trouver des correspondances entre les mots faisant croire que la vie a un sens.

L'univers n'est peut-être que la farce d'un Dieu moqueur ?

On devine aussi l'existence d'une fille, appelée "Perle", comme une traduction d'un prénom anglophone, comme un nom d'animal de compagnie.

Perle, ce bijou qu'elle s'est hâtée d'engendrer sitôt notre rupture consommée.

Elle crèche à la gendarmerie, avec son compagnon, ce fidèle amoureux de la loi et de l'ordre... la poésie et la métaphysique ne doivent pas venir souvent visiter les lieux.

Et le visage de A. ... Oh, on dirait qu'un logiciel de retouche photo a fondu le visage de feu son père avec celui de sa mère. Elle est devenue vieille.

Ouais, ressembler à ses parents, rien que de très normal à ça, c'est bien le noeud du problème : tout est trop normal là dedans, désespérant de normalité et de banalité.

Je transpire et sens la nausée monter.

Qu'est ce qui m'a pris de remuer la vase du passé ?

Si je me retourne, ce n'est pas par nostalgie d'une époque révolue, mais parce que devant moi ... je ne vois plus rien.

*

Une vieille dame croise mon regard dans le métro, semblant surprise que je sois témoin de sa présence. Il est vrai que, bien souvent, les gens usés sont invisibles aux yeux de ceux qui le sont un peu moins.

Nous cherchons constamment du plus frais pour nous désaltérer, nous distraire et nous rassurer.

Quand nous croisons du vieux, nous le fuyons à grandes enjambées, de peur qu'il nous contamine et que sa seule présence puisse creuser nos rides.