Crémeux

À la table d'à côté, à l'"îlot café", il y a un quadra avec un visage étroit, précocement ridé par les excès d'alcool et de troublant produits.

Il est assis là, tranquille, avec sa petite barbichette sur le menton et, à côté de lui, sa petite chérie sur la banquette. 

On dirait qu'elle a 15ans tant elle est fluette cette jeune blondinette, qui sait peut-être est-ce réellement une lycéenne attirée par un mâle plus âgé, un homme mûr et frippé, ridé par l'expérience et confit par l'absence d'espérance.

Elle est assise les jambes repliées sur la banquette, se caressant d'un air absent la cheville et le mollet, tirant de temps à autre sur un poil avec deux doigts, comme pour juger de la nécessité de s'épiler prochainement. 

Un demi de bière blanche est posé devant elle et la même chose devant lui aussi, ce n'est certainement pas leur première consommation de l'après midi.

Sur le mur faisant face au couple, une peinture représentant le visage de Frida Kahlo, peut-être un auto-portrait de l'artiste. 

Le mec à la barbichette, appelons le Fred, semble jovial mais il est surtout saoul, il connaît tout le monde ou presque dans ce bar. L'établissement est en principe interdit aux animaux, pourtant son chien, un molosse avec une énorme tête, est couché sous la table et observe la clientèle en tirant sa grosse langue humide. 

Fred raconte à un homme de passage dans la région que ce chien est une crème, "quand on pense qu'avant c'était un chien de combat! ". Puis il se marre en caressant l'animal. 

Fred transpire l'orgueil, sans doute est-il fier d'avoir su transformer une machine à tuer en gentil toutou lécheur de main. 

Fred est chez lui à " l'îlot café " car, dans ce repaire puant la picole et la sueur de branleur, il y a ses amis, sa chérie mineure, son tabac, son gros chien crémeux et bien sûr son alcool majeur.