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Une âme effarouchée
24 août 2022

Défigurée

 

Elle utilise souvent des expressions amusantes, de façon involontaire, par exemple une fois elle m'a dit : "ça m'énerve quand mon homme relooke des filles dans la rue" (au sens de "reluque"). 
Hier, tandis que nous dégustions un chocolat chaud chez Angelina (notre rituel mensuel), elle me racontait ses vacances et notamment ce moment où "deux filles m'ont défiguré en rigolant quand je suis sortie de la piscine".
Je n'ai pas relevé, j'ai essayé de ne pas sourire non plus même si elle m'amuse beaucoup lorsqu'elle emploie ainsi un mot proche d'un autre, mais dont le sens est différent. Bien loin de me moquer intérieurement, ses "erreurs" m'incitent à me questionner sur le sens des termes que nous utilisons; pourquoi celui-ci et pas celui-là ?
Un visage n'est il pas synonyme d'une figure? 
Dès lors, comment se fait-il que l'adjonction d'un même préfixe privatif devant deux mots ayant un sens identique donne naissance à deux termes se définissant différemment ? 
"Dévisager" : enlever le visage d'autrui, le dérober pour le scruter, lorgner le moindre détail et ne plus le laisser renfermer un seul secret. Allons, si tu n'as rien à cacher, pourquoi refuses tu de te laisser étudier, comme un insecte sous le zoom de mon microscope ? (Parce que cela me rend mal à l'aise d'être ainsi prisonnière dans tes yeux et dans tes jugements mentaux) . 
"Défigurer" : enlever la figure d'autrui en la déchirant, en l'abîmant pour ne plus qu'elle soit reconnaissable. Détruire l'apparence de l'autre pour que lui-même ne sache plus qui se reflète dans le miroir. Créer une version hideuse de sa figure qui soit la preuve de ma puissance d'action sur le monde. 
Dans les deux cas, j'enlève, je m'approprie, pour ne plus rendre à autrui qu'une apparence que j'ai validée et transformée selon mes humeurs, mes pulsions, mes vices, mes névroses. 
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Je n'aurais pas dû partager un gâteau Mont-Blanc avec elle, en plus du chocolat chaud, c'est beaucoup trop de sucre pour un seul goûter. Je me sens barbouillée quand nous nous embrassons pour nous dire au revoir sur le trottoir en sortant de chez Angelina.
Le vent s'est levé, et du mauvais pied, faisant s'envoler nerveusement des feuilles pourtant déjà mortes. 
La foule me paraît plus dense que d'habitude dans la longue rue, où rares sont les endroits pouvant servir de cachette. Partout, des yeux clignotent, papillonnent, certains s'arrêtent sur mon visage, d'autres sur mes seins ou mes jambes. Si chacun de ces yeux était une goutte d'alcool, je serais déjà saoule. Je ne sais comment regagner mon domicile en croisant le moins d'exemplaires possibles de ces regards qui fouillent, scrutent et dévorent mon image. 
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