Bouchon solidaire

C'est l'hiver et, sur l'immeuble d'en face, on peut voir des feuilles mortes de platanes empalées sur des piques anti-pigeons comme du poulet mariné sur des brochettes l'été.

"Si c'était à refaire, je le referais pas" elle dit, répondant à une question que personne ne lui a posée.

Le bout du stylo appuyé contre son menton, elle arbore une moue digne d'une actrice surjouant une scène de réflexion dans un mauvais film.

Puis, elle penche la tête pour consulter son cahier de notes, le précieux appendice de sa pseudo inspiration.

Elle récite sa pensée, comme quoi elle aurait été fourmi tout sa vie, économisant autant l'argent que les sentiments, alors quoi maintenant elle peut bien se permettre de muer en cigale ivre de plaisirs.

N'aimant pas l'alcool, elle boit de la Vichy St Yorre à l'apéritif. La bouteille possède un bouchon solidaire, elle aime bien le principe, trouve ça pratique et puis "ça aide la planète".

On voit les lampées d'eau gazeuse descendre le long de sa gorge, on discerne très bien quand elle déglutit. On le voit et on l'entend. Elle nous dégoûte un peu, mais à un niveau qui reste encore supportable.

Plus tard, lors d'une promenade d'après repas, elle confesse son étonnement de voir des retraités parcourir les rues de notre cité : "c'est drôle, on parle toujours des jeunes de banlieue, mais... en fait, ici aussi, il y a des vieux!"