Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Une âme effarouchée
9 février 2023

Configurations

Pour certains, Cretignon est un original, pour d'autres un être bien tordu. En tout cas, c'est quelqu'un qui adore le symbolique, les mystères et les mythes.
Assez logiquement, il est féru de psychanalyse.
"Hier, j'ai découvert la rue Jacques Lacan, enfin, plutôt qu'une rue, c'est une impasse, de quelques mètres de long seulement. Mais elle n'est pas sans issue, vois tu, on n'a pas à faire demi-tour pour continuer son chemin puisque la voie se termine par un escalier, assez long et abrupt qui, en descendant, permet de rejoindre l'avenue située en contrebas."
Il marque une pause, un peu essoufflé.
Son regard scrute la surface (imitation bois) de la table qui nous sépare dans ce café semi-populaire. Je bois un chocolat chaud alors que depuis des jours, des semaines, et même depuis ma naissance, je n'ai envie que de bière.
Il reprend :
"Que peut-on déduire de cette configuration ?
Que la psychanalyse est sans issue? Quand bien même aurait-elle une tête, elle ne possèderait pas de queue? Ou bien la thérapie nous permettrait-elle (grâce à l'escalier) de rejoindre la foule des gens "normaux", ceux d'en bas, qui ne souffrent que d'une anxiété plus ... usuelle ? L'escalier serait en marche vers les tréfonds de notre être! " conclut Cretignon en caressant son menton barbu entre le pouce et l'index.
Je ne dis en général pas grand chose quand on se rencontre (environ une fois par semaine). J'apprécie malgré tout de le fréquenter, il est obsessionnel et un peu fou (il faut bien le reconnaître), mais avec lui je ne m'ennuie jamais. Il m'oblige à m'extraire de mon nombril, qui est très profond, car autant l'avouer j'ai également un caractère auto-obsessionnel.
Deux fois par semaine, Cretignon se rend dans un cabinet des vieux quartiers cossus, là où sévit l'un des derniers psychanalystes de la ville, sans que je sache si ces séances (payées à prix d'or) relèvent pour lui du loisir intellectuel ou de la nécessité existentielle.
"La rue Sigmund Freud, dans le nord de la ville, est tout aussi intéressante quant à sa configuration et son emplacement, tu vois où elle se trouve ?"
Je fais non de la tête.
"Elle est située à l'extrême limite de la commune, formant une frontière entre celle-ci et la banlieue - plus oubliée - qui la jouxte. C'est assez incroyable non?"
Du fait de son excitation, il hausse nettement le ton et quelques postillons giclent de sa bouche pour venir mourir aux abords de ma tasse de chocolat.
Des clients du café jettent des regards inquiets sur mon vis-à-vis.
"La rue sur la carte - la rue Freud et pas une autre ! - apparaît telle une ligne frontière, comme la matérialisation urbaine de la limite entre le conscient et l'inconscient!
Alors quelle voix/voie faut-il prendre pour arriver?"
Il me fixe, semblant attendre pour une fois une vraie réponse de ma part.
Je tente : "il faudrait déjà commencer par savoir où l'on veut aller".
Je vois ses lèvres bouger, répétant en boucle et en sourdine ma réponse. Les yeux dans le vague, Cretignon semble subitement égaré quelque part dans le dédale des rues aux configurations étonnantes, perdu dans les méandres de sa confusion. 
Publicité
Publicité
Commentaires
O
Disons que faire rentrer de force le fonctionnement psychique humain dans une poignée de modèles élaborés un siècle plus tôt... je trouve l'exercice... douloureux... ^^<br /> <br /> A trop schématiser, on perd en subtilité.
Répondre
W
Moi je ne vois pas de problème dans votre commentaire. <br /> <br /> Je ne vénère pas la psychanalyse et les critiques à son égard ne me gênent pas. <br /> <br /> Si jamais vous souhaitez vous exprimer davantage, la porte euh la page est grande ouverte.
Répondre
O
"Savoir où l'on veut aller... "<br /> <br /> la psychanalyse, ne s'intéresse que de là où l'on vient. Pour mieux nous y enfermer. <br /> <br /> (je me suis BEAUCOUP censurée pour écrire ce commentaire, que j'ai failli ne pas écrire... que j'aurais probablement été avisée de ne pas écrire d'ailleurs... ^^ )
Répondre
Une âme effarouchée
Publicité
Archives
Publicité