À l'arrière du mollet droit

Il débarque dans le salon, sourire aux lèvres, vêtu de sa chemisette, son short et ses mocassins achetés en soldes à La Halle l'été dernier. Je suis en train de préparer un flan courgette/fêta/chorizo pour le dîner.

- devine où j'étais ? Il me demande d'un air mystérieux

- dis moi

- attends je te montre ça sera plus simple

Alors il se retourne et me présente son dos, ou plutôt l'arrière de son mollet droit où se trouve un tatouage qui n'existait encore pas la veille.

Effarée, je m'assois pour mieux parcourir des yeux les traces encrées sur sa peau pâle. Dans un encadré rappelant la devise d'un blason, je lis la date de naissance de notre fils : 08/03/2015. Au-dessus est tatoué (en bleu et blanc) le visage d'un enfant qui devrait être logiquement le nôtre mais qui ne lui ressemble guère.

- mais ... qu'est-ce que tu as fait?

- un tatouage ma chérie, tu vois bien! Tu aimes?

- non! enfin je sais pas... pourquoi tatouer la date de naissance d'Hugo? Tu as peur de l'oublier ?

- ah ah, mais non enfin, c'est pour l'avoir toujours au plus près de moi !

Il se retourne à nouveau et affiche son grand sourire bovin, celui qui m'agace terriblement et me donne envie de l'attacher à un piquet pour lui faire brouter les hautes herbes qui pullulent derrière la maison.

- mais alors pourquoi derrière le mollet ? Ça n'a aucun sens ! On dirait que tu veux exhiber notre enfant aux passants qui marchent derrière toi l'été quand tu es en short. Pourquoi pas un tatouage sur le bras, le torse, enfin n'importe quel endroit plus visible par toi?

- je sais pas, ça m'a paru sympa comme idée.

Il tire la tête à présent, je m'en veux un peu de ma franchise, mais je suis excédée à l'idée que mon homme soit devenu aussi boeuf, beauf, bof bof, quelqu'un qu'il me répugne à présent d'accepter entre mes jambes.

- tu as vu ? (Son sourire est revenu) le visage d'Hugo est aussi tatoué

- oui j'ai vu, la date de naissance d'il y a huit ans avec son visage de maintenant, qui en plus ne lui ressemble pas ...

- alors toi, tu es si négative ! Attention, tu deviens aigrie avec l'âge, ça donne des rides.

Il repart en sifflotant, s'affale sur le canapé, après avoir attrapé un sachet de cacahuètes en chemin.

J'entends ses mâchoires broyer les fruits secs à un rythme aussi effréné que la course automobile qu'il regarde à la télé. Ma bouche à moi est vide et sèche.

Débiter le chorizo en tranches,

Tchac, tchac tchac,

La courgette en fines rondelles,

Écraser la fêta à pleines mains.

Je me suis écorché un doigt en préparant les ingrédients : le fromage grec tout blanc est coloré par le rouge d'une goutte de mon sang.