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Une âme effarouchée
22 décembre 2023

Différenciation

Jonas croise une femme noire dans la rue.
Une femme "racisée" se corrige t'il aussitôt, pas "noire". Il essaye de montrer à la passante (qui n'a même pas dû le remarquer sur ce bout de trottoir) avec son regard détaché, via sa démarche détendue, qu'il n'est absolument pas sexiste ni raciste.
Or, il est épuisant de vouloir prouver au monde, à longueur de journée, tout ce que l'on n'est pas !
A force, Jonas ne voit plus (dans la rue, au travail ou au café) des individus humains face à lui, des égaux, mais une succession d'altérités éloignées de lui par les conditions de leur existence : une femme, un noir, une musulmane, un sénior, un handicapé moteur, une lycéenne...
Sa manière d'être changeant en fonction de qui lui fait face, Jonas devient élastique et n'a plus de fond propre puisque la société lui répète à l'envi qu'il doit prendre conscience de la différence présente chez autrui pour annuler la discrimination que son esprit est déjà inévitablement en train de fomenter (le salaud!). Cet être croisé au hasard, que Jonas aurait pu considérer comme un humain "lambda" avec qui parler, plaisanter, interagir sans arrières pensées se retrouve changé en "différent" au-dessus duquel flotte constamment le drapeau d'une potentielle culpabilité. Le naturel a été chassé sans pour autant revenir au galop.
L'esprit de Jonas, déjà retors en temps habituel, se contorsionne encore davantage, se demandant comment ne pas mal se comporter envers cette "catégorie" de la population dans son ensemble.
La différenciation amène en effet à considérer chacun comme un exemple typique d'un groupe sociétal homogène plutôt qu'un individu original, un humain à part entière que l'on pourrait apprendre à connaître et à apprécier pour sa singularité.
Jonas observe en contrebas, caché derrière les rideaux de son salon, la foule arpenter le boulevard au soleil couchant.
Épuisé par un lancinant mal de crâne, Jonas décide de rester chez lui ce soir, et peut-être demain.

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Commentaires
D
"Le naturel a été chassé sans pour autant revenir au galop"
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D
Il y a dans votre texte une phrase que je trouve amusante mais qui traduit bien le malaise actuel ...<br /> <br /> S.
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Une âme effarouchée
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