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Une âme effarouchée
11 mai 2021

264, Daumesnil

Mon oeil détecte à intervalles réguliers de drôles de beautés qui arpentent le pavé; les tenues s'allègent à mesure que les jours s'allongent.
Je mate, furtivement.
Lorsque je m'aperçois que je suis aperçu par la belle, alors honteux et lâche, je la traverse du regard comme si je ne l'admirais pas elle mais le compteur EdF ou la boîte aux lettres situés juste derrière.
C'est ridicule, c'est épuisant, ce désir sans fin, ce besoin de regarder à tout va, à tout âge, des chairs, des courbes, des démarches.
Pourquoi maquiller de tant de fantasmes des dizaines de silouhettes graciles, tout juste croisées, si vite évanouies?
Pourquoi désirer toujours plus que ce que l'on a, même si on possède déjà tout ce qui est nécessaire ?
Puits qui ne se remplit jamais.
Malgré l'amour reçu d'un côté, je bave devant l'amour potentiel que pourraient m'octroyer tous les autres côtés avec leur physique juvénile avantageux, leurs yeux ténébreux, leur ventre dénudé.
Je scrute intensément, à longueur de journée.
Je ne me remplis pas, peut-être que je fuis, que je laisse passer l'amour à travers moi sans pouvoir l'assimiler. Ou bien l'amour me glisse dessus comme la pluie sur les plumes d'un canard.
Je ne suis pourtant pas un colvert, moi je suis un porc, un vieux porc.
+
Respire, respire.
T'es pas un animal en rut, t'as le contrôle de ton corps et de tes pensées.
Respire lentement, par le nez, dans les côtes.
Pense à autre chose, tiens par exemple, décris où tu te trouves maintenant, ce que tu y vois, ce que tu entends ou sens. 
+
Face à moi, de l'autre côté de la chaussée, c'est le 264 Daumesnil, un bel immeuble bourgeois, peut-être de la fin du XIXème siècle.
Les balcons sont situés aux deuxième et avant dernier étages, législation Haussmanienne. Au rez de chaussée : une boutique Krys, qui est aussi moche que le sont généralement les boutiques d'opticiens.
La façade, au 5e étage, est décorée par des bas reliefs où je distingue des torses d'enfants sortant des flots.
J'ai les fesses posées sur un vieux banc en bois peint en vert; face à moi, à deux mètres, se trouvent une poubelle et une bulle à verre.
Le vent fait parvenir jusqu'à mes narines l'odeur des toilettes publiques automatiques situées non loin de là.
Poésie olfactive urbaine.
Un SDF entre dans mon champ de vision, il commence à fouiller dans son chariot de supermarché - qui contient une belle collection de cartons - puis il inspecte ladite poubelle.
+
Le sans abri que je croise le plus souvent, celui toujours échoué dans la rue sous les voies ferrées... la dernière fois il dormait... alors j'osai inspecter du regard son "foyer", ses affaires... sa couette, sa guitare, une valise couleur corail... une merde marron clair, très fraîche apparemment, qui trônait au sommet du contenu d'un sac Carrefour plastifié transformé en toilettes sèches portatives.
Papiers publicitaires et merdes étagés alternativement. Je m'efforçai de ne pas détourner trop vite les yeux, je voulais regarder en face la réalité, pour une fois.
Tout en sachant que je ne pourrais pas la modifier puisque je ne suis bon qu'à la regarder et à commenter. 
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