Tragédie

Les deux mains appuyées sur le rebord du lavabo, Armand observe le reflet de son visage dans le miroir de la salle de bains.

Il se sourit, étire au maximum les lèvres, affichant l'ensemble de ses dents sous la lumière du néon. Sourire carnassier.

Puis il se penche en avant, de la buée se forme à la surface du miroir lorsque son nez le frôle.

Armand est arrivé si près de lui-même qu'il parvient à distinguer, confinés dans la prunelle de ses yeux, les traits déformés de son visage.

Effrayé à l'idée d'y lire le contenu de son âme, il recule, pivote à 180° et se retourne brusquement pour surprendre son double prisonnier dans la glace. Il tire la langue de dépit en constatant son échec.

Alors, il fronce les sourcils, tourne la tête plusieurs fois de gauche à droite, comme s'il disait "non non non".

Puis il fait " oui oui oui" en opinant énergiquement du chef.

Ensuite, les deux mains à hauteur des épaules, il gonfle ses joues en haussant les sourcils "alors là, aucune idée" semble t'il mimer.

Comme chaque matin, Armand joue la comédie.

Il endosse des rôles, parfait son camouflage pour la grande représentation qu'est devenue sa vie de tous les jours.

Avant qu'il ne referme la porte de la salle de bains, plongeant dans le noir le local de répétition, nous pouvons percevoir, subrepticement, sur le visage torturé d'Armand les traces indéniables de la dépression.